Souffrir pour être beau ?

Souffrir.

Une personne, qui vit elle-même de grandes souffrances, m’a demandé un jour si je pouvais écrire un article sur la souffrance. Je lui ai dit « pourquoi pas ».
Je ne sais pas si j’aurais dû… car c’est un sujet assez délicat à traiter.

Et surtout que dire ?

La souffrance est tellement personnelle, les causes aussi. Que dire sur la souffrance, qui puisse aider ?

L’origine des mots

Souvent, j’aime bien passer par l’étymologie des mots; ça peut aider à mieux comprendre le sens premier qui a été mis derrière le terme, et parfois avoir un autre regard sur le sens que l’on y met aujourd’hui.
Le mot «souffrance» vient de deux mots latins : le préfixe «sub» qui signifie «en-dessous» et le verbe «ferre», qui veut dire «porter». Le mot implique donc l’image d’un support, qui supporte tout ce qui se trouve dessus.
La souffrance est-elle donc quelque chose qui doit se supporter, être subi (sens négatif) ?

Cette souffrance subie (ou niée ou qu’on s’inflige à soi-même) renvoie à d’autres
mots dont l’étymologie est tout aussi éloquente : on parle de dépression (latin « de »
et «premere» – impliquant une pression vers le bas, tout le contraire de sub –
ferre).
Quand la pression est vers le bas et que l’on est en dessous à «supporter», ça peut devenir vite lourd

Ou alors, est-ce que la souffrance est l’expression de ce que l’on doit porter dessus (su-porter) et qui doit être dépassé, transcendé (sens positif)?
La souffrance acquiert alors un sens lorsqu’elle nous porte, qu’elle nous ramène à l’essentiel dans notre vie, lorsqu’on la vit de telle sorte qu’elle peut nous faire passer à une nouvelle étape de croissance – physique, psychologique, affective, spirituelle…

Facile à dire…

D’autant qu’aujourd’hui la souffrance est de moins en moins acceptée. Avec tous les progrès technologiques et médicaux, certains pourraient même trouver ça inacceptable de devoir encore souffrir.
Et pourquoi moi ?! Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?

Et pourtant elle fait partie de la vie.

On nait même dans la souffrance. Sortir du ventre de sa mère ne se fait pas sans douleur, ni pour l’un ni pour l’autre. Et la première respiration qui défroisse les poumons du bébé est suffisamment douloureuse pour le faire pleurer.
Ici je parle de souffrance et de douleur indistinctement. Certains puristes y trouveront à redire, car on dit souvent que la douleur est physique alors que la souffrance est plutôt mentale, psychologique, émotionnelle, etc…

Cette séparation à mon sens, est erronée à la base, car c’est partir du principe que dans la personne, le corps physique et le reste (mental, émotionnel, etc…) sont des entités distinctes et séparables.
Pourtant, on sait bien qu’une douleur peut entrainer une souffrance, et qu’une souffrance peut être douloureuse. Il existe donc bien un lien entre les deux.

A la fin du 20ème siècle des travaux ont montré que notre cher R. Descartes s’était trompé et que le cœur a ses raisons que la raison est loin d’ignorer… et le fameux «je pense donc je suis» peut alors tout aussi bien se transformer en «je suis donc je pense» (voir l’Erreur de Descartes de A. Damasio).

Le corps, l’émotionnel et le mental sont donc unis, pour le meilleur et pour le pire…

Juvenal au 1er siècle après JC, avec sa maxime «un esprit sain dans un corps sain», l’avait déjà compris et nous montre bien que les deux sont liés. Si le corps est sain et en bonne santé, alors l’esprit a plus de chances de l’être aussi. Et inversement.

Pourtant, chose étonnante, aujourd’hui il n’est même pas encore complètement admit que si l’esprit, au sens large (c’est-à-dire le mental, l’émotionnel, le psychologique, etc…) a des blocages, alors le corps assez logiquement, pourra en subir les conséquences.

Notre médecine occidentale, malgré tous les bienfaits qu’elle a pu nous apporter, y est pour une grande partie responsable, car pendant des années elle nous a affirmé que le corps et l’esprit n’avaient aucune relation entre eux.

Souffrir : une question de point de vue ?

Une souffrance est produite par une blessure (émotionnelle, physique, psychologique, etc…), qui elle-même est produite par une violence.
Violence qui peut être infligée par l’extérieur, ou par soi-même, volontairement ou involontairement.
Car en fonction de notre état du moment (contexte, humeur, situation, etc…) c’est nous qui allons prendre l’acte comme une violence ou pas à notre égard.
Et je pense, sans vouloir faire de raccourcis trop faciles et trop rapides, que c’est dans cette direction que se trouve la clé.

Loin de vouloir culpabiliser toutes les personnes qui ont des souffrances (c’est-à-dire, à peu près tout le monde sur terre, chacun à son niveau), mon propos ici est au contraire de montrer que l’on peut reprendre un peu plus de contrôle sur ce qui nous arrive, et que tout n’est pas une fatalité.

Un accident, une maladie, une séparation, un décès, une violence… qui nous arrive, à nous ou à nos proches : je suis d’accord, on n’a pas toujours de contrôle dessus, et parfois on se demande bien ce qu’on a pu faire pour que ça nous arrive.
Mais ce qui va impacter notre vie, va d’abord être notre façon de le vivre, va être le regard que l’on porte dessus.

Encore une fois, c’est facile à dire.

La suite dans le prochain article…