Sep 17 2013
La dépression peut-elle nous attraper ?
Ceci est ma participation au festival de la croisée des blogs, qui pour ce mois de septembre est organisé par Dominique Chayer du blog Choisir le Bonheur, sur le thème de la dépression.
Pour voir les conditions de participation, cliquer ici.
La dépression étant un sujet plutôt sensible et assez délicat à traiter, cet article n’a aucune prétention de conseils à suivre ou de solutions pour s’en sortir. Il a pour seul but de poser un regard sur la dépression, qui se veut peut-être autre, et dans tous les cas, aussi bienveillant que possible.
Evidemment, pour certaines situations comme la dépression, une simple lecture a très peu de chance d’être suffisante pour aider réellement. D’un autre côté, si elle peut être un élément aidant ou déclencheur pour aller plus loin, alors c’est déjà ça de gagné.
On dit souvent que la clé de l’évolution passe par le changement de point de vue. C’est pas bête, car qu’est-ce qu’un problème si on ne le voit plus comme tel ?
Déprimer c’est quoi ?
En général quand on parle de dépression, on parle d’un état de tristesse énorme, on ne voit pas le bout d’un problème, on n’a plus goût à rien, on se sent sans valeur, il peut y avoir un sentiment de désespoir, de culpabilité, etc…, le tout, sans forcément le reconnaître consciemment.
Dans le langage courant, on dit « je suis déprimé ».
Et je trouve justement intéressant de creuser ce que nous dit le langage courant. Comment d’une certaine façon, il nous conditionne.
Etymologiquement, « dépression » vient du latin « de » et « premere » impliquant une pression vers le bas. Une dépression est donc quelque chose qui presse, pousse vers le bas. Et si on est en dessous, ça peut être lourd.
Maintenant, on dit « je suis » déprimé.
Et en général on utilise « je suis » quand on s’identifie, à ce qui vient après.
Je suis un homme, une femme. Je suis grand, petit, etc… C’est un état en lien avec notre identité, notre nature intrinsèque. Quelque chose qu’on ne peut pas changer. Je suis comme ça, je suis ça, c’est mon identité.
Et quand on dit « je suis déprimé », inconsciemment, qu’est-ce qu’on fait ? On s’identifie à notre dépression. On devient la dépression, elle fait partie intégrante de notre nature. « Je suis » = la dépression, c’est moi.
Et là, ça devient beaucoup plus difficile de s’en séparer, parce-que ça voudrait dire que je dois changer de nature, que je dois changer d’identité, je dois être un autre moi. C’est même carrément impossible…
Changer de point de vue
Cette idée n’est pas de moi, elle est de Michael White, psychothérapeute australien (1947-2008), inventeur de l’approche narrative.
Il a remarqué que souvent, la personne et les problèmes sont confondus. On assimile la personne à ses problèmes. Et du coup ça devient beaucoup plus difficile de s’en séparer.
De là, en découle un point de vue qui peut paraître assez trivial, mais qu’on n’utilise pas forcément si souvent, qui est que : le problème n’est pas la personne. Il a une existence qui lui est propre, et il a un impact sur la personne.
On passe alors de : « je me définis par mon problème » : je suis dépressif, bordélique, timide, etc…
à : « le problème agit sur moi« .
Le problème et la personne deviennent deux entités différentes, de nature indépendante l’une de l’autre, avec l’une qui a un impact sur l’autre.
Ca devient alors moins difficile de s’en séparer.
Pour revenir à la dépression, on passe de « je suis déprimé » -je m’identifie à la dépression- à « je suis avec une dépression », un peu comme si c’était la dépression qui m’avait attrapée. La dépression devient alors extérieure à moi.
A quoi ça sert de le voir comme ça ? Allez-vous peut-être me dire.
En la positionnant comme une « entité » extérieure à soi-même, par ce simple changement de point de vue, on ne va plus chercher -inconsciemment- à changer son identité : passer de quelqu’un qui est dépressif à quelqu’un qui ne l’est pas, mais plutôt à se débarrasser d’un fardeau qui nous pèse.
On va plutôt s’orienter sur : comment je me suis fait attrapé par cette dépression, et qu’est-ce que je peux faire pour la relâcher ?
Car en final (sans aucune culpabilisation des personnes qui sont dans cette situation et en souffrent suffisamment), il n’y a que moi qui la maintient. Si je décide vraiment de la lâcher, alors elle part. Evidemment en général cela se passe de façon très inconsciente. C’est pour ça que se décrocher seul(e) d’une dépression est plutôt difficile.
Nous ne sommes pas seuls
Michael White, avec son approche narrative, va chercher à remettre la personne dans son histoire, en relation avec les gens.
Aujourd’hui, on est dans une culture où on pense en termes d’individu. On réagit à des normes.
En environ un siècle, on est passé d’une société collective où l’individu était réprimé et sanctionné sévèrement, à une société plus normative, autorégulée.
Au 19ème siècle, même si les conditions de travail étaient très difficiles, il y avait beaucoup plus de liens entre les gens.
Petit à petit, la culture est venue à l’individualisation. Les moyens de transport y sont aussi pour beaucoup. Il y a 100 ans, tout le monde habitait à +/-50km de chez ses parents.
Aujourd’hui, les villes sont bondées de monde, mais il y a de moins en moins de liens entre les gens. De plus en plus d’individualisation.
On demande de plus en plus aux gens d’être des individus toujours plus puissants, mais seuls. La personne est pensée comme si elle était coupée des autres, comme si elle était encapsulée.
Et quand on ne se sent pas bien, comme il y a moins de liens avec les autres, on va amplifier le problème car il n’y a rien qui nous fait sortir de notre état.
L’approche narrative
Dans nos histoires, on est en contact permanent avec des récits qui nous valorisent ou nous dévalorisent.
Certaines histoires, on n’arrive pas à y repenser. Probablement à cause de tous les ancrages négatifs associés, conscients ou pas.
Par contre, nos ressources vont être tout ce qu’on a vécu et dont on est fier : c’est notre trésor personnel.
L’approche narrative est une approche qui va aider à déconstruire l’histoire négative pour la relier aux expériences positives (et on en a forcément, même si la dépression nous bouche la vue), pour faire réapparaitre ces expériences positives. Elle va permettre de remettre la personne en relation avec son histoire, avec les gens importants pour elle.
En partant du récit d’une expérience, on va « tisser ». On va raccorder l’expérience et l’identité par les valeurs (valeur = ce qui est important pour moi, ce qui me pousse et me motive dans ma vie). En questionnant le récit, petit à petit, on va raccrocher notre identité, nos ressources, à notre histoire, notre vécu en lien avec notre entourage, car nos ressources n’ont de sens que parce-qu’elles sont en relation avec d’autres, reconnues par d’autres.
Pour en savoir plus sur l’approche narrative, voici une vidéo de Pierre Blanc-Sahnoun, un des précurseurs de cette approche en France. Elle est plus orientée entreprises, mais le fond reste évidemment valable pour d’autres problématiques dont celle qui nous concerne ici.
Vous avez envie de réagir par rapport à cet article, la vidéo, ou l’approche en général ? J’y répondrai avec plaisir dans les commentaires ci-dessous.
Phil de Plume-Active
20 septembre 2013 @ 21:33
Bonjour Philippe
Cette vidéo me rappelle beaucoup mon ancien métier ( organisation, conduite du changement au sein d’un grand groupe… ) .
L’approche narrative me semble transposable sur ce sujet. Une des grandes difficultés de la personne dépressive est cette identification à SA dépression … et prendre de la distance , petit à petit, grâce à cette approche, est sans doute une sortie possible par le haut.
Le groupe a une importante vitale pour démarrer le processus, à mon avis. Seule, comme tu l’évoques dans ton article, la personne dépressive aura du mal à créer l’histoire. Ou bien de voir toutes les histoires qu’elle vit à côté de cette histoire dominante qui le tire vers le bas.
Merci pour cette découverte d’une méthode que je vais approfondir dans mon milieu professionnel.
Phil
Philippe
24 septembre 2013 @ 09:33
Bonjour Phil,
Merci pour ton commentaire, et tant mieux si cette approche peut aussi apporter à d’autres. 🙂
C’est vrai que la dépression tend les gens à s’isoler de plus en plus, certains pensant qu’ils peuvent y arriver par eux-même, ou alors ne voyant pas eux-même qu’ils se sont fait attrapé par une dépression. Et plus on est isolé, plus c’est difficile de s’en séparer.
Comme tu le dis, le groupe est super important pour démarrer le processus, je suis d’accord avec toi.
🙂
Pierre
23 septembre 2013 @ 09:55
La dépression est un sujet très vaste et malheureusement il est vrai très délicat. Le gros soucis c’est cette spirale négative dans laquelle la personne s’enfonce inexorablement. Et l’amplification « moderne » de l’individualisation et de la solitude n’est vraiment pas faite pour arranger les choses…
Philippe
24 septembre 2013 @ 09:40
C’est vrai Pierre, que l’individualisation n’aide pas vraiment.
Ta remarque fait penser à un truc :
C’est étonnant quand même comme d’un côté on nous isole de plus en plus, on s’individualise de plus en plus, c’est un peu chacun pour soi, et en même temps on a un des systèmes de santé (par exemple) les plus social, les plus collectif, orienté groupe, du monde…
Comme quoi, à croire qu’il faut toujours contre balancer quelque part… 🙂
D’un côté c’est chacun pour sa tête et de l’autre on se sert la ceinture pour faire quelque chose qui aide tout le monde. Mais bon, c’est vrai aussi qu’on n’a pas le choix . Je ne sais pas comment ça se passerait si on pouvait choisir de cotiser ou pas. Est-ce que tout le monde le ferait et à quel hauteur ?
🙂
Isabelle
23 septembre 2013 @ 13:45
L’article est intéressant, il nous aide beaucoup à nous faire connaître la vraie signification du mot « déprimer » afin qu’on puisse relever le défit dans cet enclavement moral. Il faut apprendre sur soi même et avancer !!! C’est vrai
Philippe
24 septembre 2013 @ 09:46
Merci Isabelle,
J’aime bien passer par l’étymologie des mots (quand je peux); ça donne souvent un autre regard sur le mot en question de voir comment il a été « choisi » à l’origine, et comment on s’en sert aujourd’hui.
Merci pour ton commentaire, et super si ça peut aider.
:)
Et je suis assez d’accord: apprenons sur et soi et avançons! Soyons fou! 😉