La mer et la mort

(J’ai le plaisir d’accueillir Didier Thiellet du blog Le voyage du lâcher prise, qui est l’auteur de cet article).
Cet article existe aussi en version en podcast sur le blog « Repartir plus fort » de Philippe Druet (encore un Philippe 😉 )

Tim venait de terminer ses études, des études littéraires. Il avait réussi sans éclats, mais honorablement. En ces temps qui courraient, le travail, lui, n’était pas dans les rues. Tim le savait. Son père l’avait soutenu jusque-là, études payées, gîte et couvert assuré, habillement et argent de poche également. Son tuteur s’était serré la ceinture pour que son fils unique puisse terminer confortablement sa licence de lettres et langues étrangères.

Dans les oreilles de Tim, résonnait encore, les paroles de son papa : “Tu sais depuis que ta mère est morte, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour que tu en souffres le moins possible. J’ai dû beaucoup prendre sur moi. Aujourd’hui, tu as fini tes études, tu vas pouvoir rentrer dans la vie active. Ton père a besoin de reprendre le cours de sa propre vie. Alors j’aimerais que dans les trois mois, tu te sois trouvé un emploi et emménagé en un lieu possible pour toi. Je t’aiderai pour la caution.  Je veux vivre ma vie.”

Tim lui avait, en retour demandé :

“Tu as rencontré quelqu’un papa ?

–   Oui, Tim, j’ai rencontré quelqu’un et j’aimerais habiter avec elle.

–   Tu me mets à la porte, en somme ?” Les yeux du cinquantenaire, s’étaient légèrement fermés avant de reprendre : “Tu seras toujours mon fils, et tu seras toujours le bienvenu, sache-le. Maintenant, il y a un moment ou le temps de la séparation arrive entre parents et enfants. C’est le moment pour moi de te demander de vivre ta vie.”

Tim déambulait dans les rues du dix-septième arrondissement – Parc Monceau, ses pieds l’emportaient. Toutes ces paroles lui tournaient dans la tête. “Ma mère morte, là, dans cet accident idiot. Papa conduisait, aurait-il pu éviter l’accident ? Etait-il responsable ?” Il s’était posé cette question à maintes et maintes reprises. Boulevard des Batignolles, le bruit de ses pas l’emportait sur celui des bagnoles. “Pourquoi maman est-elle morte ? L’histoire, c’est bien cela, à cause de l’histoire qui emporte et fait disparaître.” Tim  avait alors huit ans.

Son père l’avait accompagné dans son existence depuis – rue de Rome, ses pieds le portaient.
Oui ! Son père, les devoirs avec son père, le linge et son père, les repas avec son père et préparés par son père.

Pourquoi lui en vouloir. Et jamais une autre personne à la maison plus importante que lui : “je t’aiderai à devenir un homme mon fils” lui avait-il répété souvent. Comment lui en vouloir ? Rue de Rome, ses pieds l’emportaient. “Et maintenant, il désirait vivre sa vie, quoi de plus normal. Qu’est-ce que je vais faire ?” se disait Tim “qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire”.

D’accord, il avait un bon diplôme en main. D’accord, il possédait en plus la maîtrise de quatre langues. Pourtant, dans ses spécialités, le monde du travail était bien bouché, bouclé, fermé – rue de Londres, ses pieds le pressaient. Il se demandait bien ce qu’il allait devenir, trouver du travail, avoir de l’argent, trouver un appartement… gare Saint Lazare, ses pieds y rentraient.

Dans la salle des pas perdus où sonnait tout à la fois, l’errance et l’empressement du petit matin, notre Tim, ne savait pas vraiment ce qu’il faisait, ici. Quand il se retrouva devant le distributeur de tickets de transport, toujours est-il, qu’il n’empêcha rien au moment où ses mains échangèrent argent et billet.

Ticket à la main, il ne comprit pas non plus comment il se retrouva dans ce train en partance pour Etretat, comment ses mains validèrent même ce bout de papier. “Qu’est-ce que je vais faire ? Est-ce que je vais trouver du travail. La conseillère de l’A.N.P.E. m’avait dit que cela n’allait pas être évident du fait de mon manque d’expérience.
Maman où es-tu ? Papa, que fais-tu ?”, lui raisonnait trop dans la tête.

Assis dans le train, il rabâchait, comme une leçon à apprendre, toute cette histoire. Sa tête, il la secouait et la faisait tourner dans tous les sens. Ses pieds attendaient bien sagement, ses mains sur ses cuisses, mission accomplie. Il ingurgita sans même vraiment manger un sandwich, café.

Comment il se retrouva là, devant la mer, il n’aurait pu, non plus le dire. Ses jambes etretatreposaient avec bonheur sur le sable humide et tiède, ses mains percevaient l’embrun, ses yeux se perdaient dans l’océan. Peut-être aurait-on pu y voir le jeu des vagues dans leur flux et reflux, tellement Tim était absorbé. Son corps était calme, il percevait jusqu’au profond de ses cellules la vie de ces étendues : la mer, lui, le monde, les gens. C’était comme si tout s’entendait dans ce silence, tout émanait de ce vide, tout se retrouvait dans cette vacuité. Les poumons de Tim, respiraient, respiraient, respiraient. Dans le mouvement de l’inspire et de l’expire pouvait s’entendre le chant des vagues et là, entre les deux mouvements, le rien d’où tout commençait.

Tim ne l’oublia jamais. Alors son fils fût un peu surpris, quant à la fin de ses études, son père lui offrit un billet de train avec une lettre où il était écrit :

“Il y a quelques années, je me suis retrouvé devant l’océan à Etretat, j’y ai vécu une expérience extraordinaire, simple et banal à la fois : la compréhension intime que la force immense de l’océan émanait en moi et qu’aucune difficulté ne pouvait changer cela. Je te propose d’y aller et d’y faire ton expérience. Je te souhaite d’y goûter, l’éternité.”

 

Cet article fait partie de l’événement « Agir ? Réagir ? Mais qui ou qu’est-ce qui agit ou réagit? De Didier du blog le voyage du lâcher prise.

Il illustre le t’aime-sourire suivant : « Un matin, vous vous réveillez avec beaucoup d’affaires à régler en ce jour. Mais voilà, de vos membres ni les inférieurs ni les supérieurs ne vous soutiennent dans ces tâches. Au contraire, ils vous entraînent et vous obligent à faire ce que vous avez toujours souhaité et que vous n’avez jamais osé. Racontez cette extraordinaire aventure. »

Pour le jeu avec l’événement : “les mots vous sourient”

Pour vous renseigner sur les modalités de l’événement, cliquez ici.

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