La grande traversée

Il y a fort longtemps, vivait une créature malfaisante que tout le monde appelait Niène. Cette créature vivait dans les profondeurs abyssales de la mer et ne remontait sur terre qu’une fois l’an, à la seconde nouvelle lune après le solstice d’hiver (entre le 21 janvier et le 20 février de nos jours).

Chaque année à cette période, tous les habitants du village s’enfuyaient dans les collines alentours pour échapper à Niène qui dévorait tout sur son passage, humains et animaux. Ils barricadaient alors leurs maisons et enfermaient leurs animaux dedans, en espérant pouvoir les retrouver vivant quand ils redescendraient le lendemain.

Le voyageur

Une année, à cette période, alors que tout le monde se préparait fébrilement et barricadait tout, pour partir s’abriter dans les collines, un vieil homme vêtu de haillons, traversa le village en quête de quelque nourriture. Personne ne faisait attention à lui, évidemment, et personne ne lui donnait à manger non plus.

A la vue de toute cette agitation, il interrogea quelques passants pour leur demander ce qu’il se passait, mais personne n’avait le temps de lui répondre.

Il fini par s’arrêter dans une maison où la propriétaire, une petite vieille, empaquetait fébrilement ses affaires mais accepta de lui expliquer malgré tout. Il n’était pas d’ici, ça se voyait : il pouvait ne pas savoir.

En y regardant de plus près, elle s’aperçut que cet homme était plutôt étrange. Il était habillé de haillons, mais son regard avait quelque chose de particulier, comme s’il brillait, comme si une lumière en émanait.

Après avoir écouté tranquillement la vieille dame, l’homme lui dit que si elle acceptait de le loger pour la nuit, il les débarrasserait du monstre. Evidemment elle se moqua de lui car elle savait, elle, à quoi ressemblait ce monstre, et de quoi il était capable.

Sans relever outre mesure ces railleries, l’homme insista en lui disant qu’il savait quoi faire pour que le monstre ne revienne plus jamais. Voyant son regard si étrange, elle se dit qu’il devait quand même être un peu spécial, et que finalement il se pourrait bien qu’il puisse faire quelque chose.

Elle accepta alors de le laisser dormir chez elle, mais seul, car elle, de toute façon allait partir se réfugier dans les collines, quoi qu’il en soit.

Rencontre avec la créature

La nuit venue, alors que tout le monde était parti, le village avait pris une allure fantomatique, tellement il était sombre et d’un silence inhabituel. Vers minuit, lorsque Niène arriva, les rues étaient désertes sans une lumière, ni dehors, ni dans les maisons. Les animaux, terrés dans leurs abris, osaient à peine respirer, de peur d’attirer son attention.

Intrigué, et affamé aussi, il parcouru les ruelles à la recherche de nourriture. Il vit alors une maison éclairée et entendit du bruit à l’intérieur. C’était celle de la petite vieille.

Il s’apprêta alors à rentrer dedans, mais tout autour de la porte du mur qui entourait la cour intérieure de la maison, étaient collés des grands morceaux de papier rouge. Il avait non seulement horreur du rouge, mais c’était aussi une couleur qui lui faisait peur. Il hésitât alors, mais la faim le tiraillant tellement, il finit par bondir d’un seul coup, et enfonça la porte.

Arrivé dans la cour intérieure, l’homme sortit alors hors de la maison tel une furie, tout de rouge vêtu, en hurlant, les yeux étincelants. Des gamelles dans les mains, il les tapait de toutes ses forces les unes contre les autres pour faire le plus de bruit possible. Et partout dans la cour, il avait enflammé des bambous qui explosaient en brûlant.

Les deux grandes peurs de Niène étaient le rouge et le bruit. Paniqué, affolé, il fit alors précipitamment demi-tour et disparu hors du village en hurlant de terreur.

Le lendemain, lorsque les villageois rentrèrent au village, ils virent avec étonnement que tout était en place, rien n’était détruit et tous les animaux vivant. La vieille dame leur ayant tout raconté, ils allèrent tous voir chez elle si l’homme était encore là. Mais il était parti.

Ils virent alors les grandes feuilles rouges collées autour de la porte extérieure, et à l’intérieur de la cour, des restes de bambou brulaient encore, et continuaient à craqueter alors qu’ils finissaient de se consumer. Ils comprirent alors ce qui s’était passé, et ce qu’avait fait le mendiant pour les aider.

Le nouvel an

Et c’est depuis que tous les ans, au moment de la deuxième nouvelle lune après le solstice d’hiver, partout en Chine, les gens collent des grandes affiches rouge autour de la porte d’entrée de leur cour intérieure, et à partir de minuit, font exploser des ribambelles de pétards pour faire fuir le monstre et l’empêcher de revenir.

Ils fêtent alors la traversée d’une autre année sans le monstre, en faisant suffisamment de bruit pour lui faire peur un an de plus.

En mandarin, « année » se prononce « niène » (年), et « traverser » se prononce « gouo » (过).

Le nouvel an chinois, fêté aujourd’hui dans beaucoup d’endroits à travers le monde, se prononce alors « gouo niène » (过年). Littéralement : traverser l’année.

Et les morceaux de papier rouge, se sont transformés en grandes banderoles rouges avec des écritures dorées qui souhaitent richesse, bonheur, santé, paix, prospérité, etc… aux personnes habitant dans les maisons où elles sont collées.